Mises à jour pour l’audition du 8 novembre 2023 à l’assemblée nationale.
I- Des avancées que les législateurs ont obtenues MAIS…
Ces dernières années, les législateurs ont montré, par leurs votes, leur volonté de changer la vision sur les langues régionales en soulignant le besoin de leur protection, de leur visibilité et de leur transmission.
Pour les membres du collectif “Pour Que vivent Nos Langues”, le ministère de l’Éducation Nationale et le ministère de l’Enseignement Supérieur, pourtant garants de la politique linguistique de la France, notamment sur le volet de la transmission, ne vont pas dans le sens de cette volonté politique et sociale. Mais il est encore temps d’insuffler une dynamique positive.
1) Généralisation de l’offre de l’enseignement
L’article 7 de la loi n° 2021-641 du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, dite « loi Molac » est désormais inscrite dans le code de l’Éducation. L’article L. 312.11.2 prévoit que “dans le cadre de conventions […], la langue régionale est une matière enseignée dans le cadre de l’horaire normal des écoles maternelles et élémentaires, des collèges et des lycées sur tout ou partie des territoires concernés, dans le but de proposer l’enseignement de la langue régionale à tous les élèves.”
- Cette généralisation de l’offre sur les territoires concernés par l’usage d’une langue régionale doit être une priorité et l’Éducation Nationale se doit de répondre favorablement, rapidement et avec les moyens adéquats, à toute collectivité la sollicitant pour signer ce type de convention. Ce n’est actuellement pas le cas. En Bretagne par exemple, l’enseignement de la langue bretonne sur le temps scolaire, tel que défini par ce nouvel article de l’Éducation et la convention État-Région signée en mars 2022, n’a toujours pas fait l’objet d’un début d’application après 2 rentrées scolaires. Dans tous les territoires concernés, si les collectivités n’en expriment pas la demande, le Ministère de l’Éducation nationale doit être moteur de la signature de convention, en s’appuyant sur les acteurs de terrain.
- Cette généralisation doit être anticipée, par un fléchage des moyens (c’est en cela que des dotations spécifiques émanant du Ministère sont indispensables) et une formation en amont d’un nombre d’enseignants suffisants, tout particulièrement pour les langues dont l’enseignement au sein de l’Éducation Nationale n’est autorisé que depuis 2021.
2) Des avancées qui ne concrétisent pas : une “force normative” souhaitée par le législateur (à travers l’article L1 de la loi du 21 mai 2021) non suivie d’effets
En 2008, les législateurs ont modifié la Constitution pour y inscrire l’article 75-1 stipulant que “Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France.”. Une volonté politique confirmée en 2021 par le vote de l’article 1er de la loi n° 2021-641 du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion qui inscrit les langues régionales à l’article 1 du code du patrimoine et qui rappelle que “L’État et les collectivités territoriales concourent à l’enseignement, à la diffusion et à la promotion de ces langues.”
- D’une manière générale, sur le terrain, nos langues souffrent de l’absence de définition de moyens budgétaires ministériels spécifiques accordés par le Ministère aux académies qui ont la responsabilité de leur enseignement, cette charge venant en sus de l’ensemble de leurs attributions. Faute de moyens spécifiques, on assiste, sur le terrain, à des situations de concurrence ingérables pour les enseignants comme pour les cadres de l’Éducation nationale.
- Nous constatons, malgré la loi du 21 mai 2021, des entraves croissantes à l’ouverture et à la contractualisation d’écoles associatives et à l’ouverture d’enseignements bilingues et optionnels dans le public.
- Les sections bilingues langues régionales ne sont toujours pas reconnues au même titre que les sections européennes ou internationales, l’Éducation Nationale accordant, encore une fois, une reconnaissance et une visibilité supérieure aux langues étrangères par rapport aux langues régionales.
3) Une circulaire “Langues et cultures régionales – cadre applicable et promotion de leur enseignement” suite à la Loi du 21 mai 2021 dont certains engagements n’ont pas été tenus
Cette circulaire visait à préciser certains points suite à la Loi du 21 mai 2021 et trouver une solution après la censure partielle par le Conseil Constitutionnel de l’enseignement par immersion.
- La circulaire rappelle qu’au collège et au lycée les “sections bilingues de langues régionales proposent un enseignement renforcé de la langue régionale d’une durée hebdomadaire d’au moins trois heures.” Or, force est de constater qu’aucune dotation supplémentaire spécifique n’a été accordée à de nombreux collèges et lycées publics ou privés concernés, notamment pour atteindre dans l’enseignement public et confessionnel à une parité horaire effective.
- Les termes “Les élèves ayant suivi ce cursus bilingue peuvent présenter au baccalauréat des épreuves en langue régionale” n’ont pas été suivis d’effets.
- La circulaire permet également, dans les sections bilingues publiques, de déroger au principe de parité horaire qui était jusqu’à présent la norme, pour pouvoir aller au-delà en fonction du projet pédagogique de l’établissement. En réalité, faute de moyens, dans les collèges publics le volume horaire enseigné en langue régionale n’atteint que très rarement la parité. Au lycée, le recul a été considérable, les moyens supplémentaires nécessaires à l’organisation des enseignements de spécialité – lorsqu’ils sont proposés – n’étant pas octroyés. L’interdiction de présenter ces épreuves de spécialité en langue régionale n’encourage pas non plus leur enseignement dans ces langues.
- De manière plus générale, la circulaire fixe pour objectif à l’enseignement bilingue d’atteindre “la maîtrise équivalente des deux langues” par l’élève, mais les moyens adéquats pour y parvenir ne sont pas octroyés.
- La circulaire permet à de nouvelles langues (franco-provençal, flamand occidental, picard…) d’être enseignées au sein de l’Éducation nationale : les stratégies de mise en place et de développement de l’enseignement de ces langues devront être activées dès la prochaine rentrée.
- La circulaire réitère la nécessité d’une bonne communication des dispositifs existants aux familles. Sur le terrain, dans tous les supports administratifs (dossier d’inscription) et de communication (sites académiques, DSDEN, sites des établissements, plaquettes de communication, Centres d’Information et d’Orientation (CIO), site ONISEP…), cet engagement n’est pas tenu.
II- Un besoin d’aller plus loin, y compris par la loi (statut spécifique et Moyens)
La Constitution et la loi donnent aux langues régionales un statut spécifique qui n’est pas reconnu au sein du Code de l’Éducation.
1) Aller plus loin sur la généralisation
- La généralisation de l’enseignement d’une langue régionale sur le temps scolaire dans les territoires concernés a été votée, elle est désormais inscrite dans le code de l’Éducation, MAIS … elle n’est pas appliquée et ne le sera jamais tant que l’Éducation nationale ne prendra pas de mesures coercitives en ce sens.
- Le député Frédéric Maillot porte une proposition de loi visant à modifier l’article L.312-10-2 inhérent à la généralisation pour en rendre l’application obligatoire. Peut-être faudra-t-il encore modifier la loi pour ne plus seulement permettre, mais contraindre le gouvernement à prendre des mesures.
- La généralisation de l’offre d’enseignement doit prendre en compte la diversité des modes d’enseignement des langues régionales et garantir la liberté de choix des parents. Tout comme la loi garantit le droit de ne pas apprendre une langue régionale, l’Éducation nationale doit garantir la possibilité de choisir entre un enseignement de la langue (à hauteur de 3 heures par semaine), un enseignement renforcé (de 3 à 6h par semaine), un enseignement bilingue à parité horaire, ou un enseignement bilingue par la méthode de l’immersion.
- Elle doit donc garantir une offre de proximité sur les territoires et assurer une cohérence de parcours entre l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire, sans oublier les filières technologiques, agricoles et professionnelles.
2) La nécessité de revoir la formation des enseignants
Les nouveaux objectifs de généralisation fixés par la loi du 21 mai 2021 additionnés au retard pris dans ce domaine ces dernières années nécessitent de passer un nouveau cap dans la formation des enseignants. L’Éducation nationale crée artificiellement un manque d’enseignants en langue régionale, manque qu’elle utilise ensuite pour justifier les freins qu’elle met à la généralisation. Pourtant, les organismes formateurs en langues régionales existent, les étudiants et les enseignants volontaires pour se former aussi.
Pour les membres du collectif, un certain nombre de mesures sont donc nécessaires dans ce domaine :
- Mise en place de formations spécifiques dans toutes les INSPEs des académies concernées (exemple là encore de l’Académie de Rennes, où il n’y a plus que 4 étudiants en M1 sur le site unique de Saint-Brieuc sur les 6 sites de formation de cette Académie, le site de Saint-Brieuc ne correspondant à aucun des 4 sites de bassin universitaire de la région)
- Ouverture – ou réouverture, puisqu’il y a eu aussi, dans ce domaine, un terrible rétrécissement de l’offre depuis les dernières décennies – des formations aux concours externes et internes (CAPES, CAFEP, dans chacune des académies concernées, en comprenant la diaspora parisienne). L’agrégation en LR récemment mise en place n’offre que de maigres possibilités pour le moment
- Prise en compte des langues régionales dans l’épreuve facultative de langues du concours de professeur des écoles modifié en 2022 et intégration d’un module langues et cultures régionales dans les maquettes de formation du Master MEEF (hors parcours bilingue)
- Dans le cadre de la refonte de la formation des enseignants et du concours (voir projet du réseau des INSPE en annexe 1), création de parcours MEEF PE bilingues français-langues régionales où la part des enseignements en langues régionales sera progressivement augmentée pour atteindre 70% de l’emploi du temps, et création de Licences PPPE bilingues / langues régionales (sur l’exemple de la licence PPPE bilingue sur Brest / académie de Rennes). Mise en place d’un véritable concours de recrutement de Professeurs des écoles spécifique (CRPE) aux langues régionales, où la parité avec le français serait véritablement prise en compte. La réforme Blanquer a diminué le poids des langues régionales, rendant le concours de moins en moins “spécifique” (voir en annexe 2 et 3, le comparatif avant / après et la demande du Conseil National des Université (CNU), section 73 “langues régionales”)
- Ouverture d’une liste complémentaire aux concours spéciaux langues régionales
- Mise en place d’un CAPES/ CAFEP prenant en compte la spécificité de l’enseignement bilingue, ouvrir la liste des valences à d’autres Disciplines Non Linguistiques (DNL) qu’Histoire-Géographie, Mathématiques, LVE, Lettres dans les domaines suivants : SVT, EPS, Physique – Chimie, Numérique / informatique, Éducation musicale, Arts plastiques, SES, technologie. Création d’un CAPES/CAFEP monovalent en langues régionales pour les territoires en faisant la demande. Augmentation des postes aux CAPES et CAFEP – langues régionales ainsi qu’à l’agrégation des langues de France
- Ouverture, chaque année, de sessions de CAPES-CAFEP interne donnant aux nombreux enseignants contractuels des perspectives de titularisation
- Ouverture de parcours de titularisation pour les enseignants de langues régionales ressortissants européens
- Mise en place d’une enveloppe budgétaire spécifique pour une formation continue d’enseignants du 1er et 2d degré (stages longs de 9 mois) souhaitant se former dans une langue régionale en vue d’enseigner la langue régionale ou une DNL (2d degré) dans une langue régionale (l’enveloppe salariale des remplaçants devra être également prise en compte dans ce budget spécifique)
- Mise en place de modules de formation continue de langue régionale (env 80 h) pour les enseignants dits monolingues des régions ayant signé une convention avec l’État pour l’enseignement de ces langues dans le cadre de l’horaire normal des écoles maternelles et élémentaires, des collèges et des lycées (article L. 312.11.2 du Code de L’Éducation)
3) Le besoin d’un statut spécifique des langues régionales au sein de l’Éducation nationale
Les langues régionales existent dans la loi. L’article 1 du code du patrimoine précise désormais que « L’État et les collectivités territoriales concourent à l’enseignement, à la diffusion et à la promotion de ces langues». Elles existent également dans la Constitution, avec un article 75-1 stipulant qu’elles font partie du patrimoine de la France, mais elles n’existent quasiment pas au sein de l’Éducation Nationale. Elles n’y ont aucun statut.
Les langues mortes que sont le grec ancien et le latin sont protégées. Elles bénéficient de moyens spécifiques d’enseignement et surtout d’aménagement spécifiques des options pour le baccalauréat qui visent à inciter les élèves à les apprendre. Nos langues sont vivantes, mais elles ne bénéficient pas de ces moyens.
L’anglais, lui, est “obligatoire” et tous les élèves du secondaire doivent l’apprendre. Cela montre qu’il est tout à fait possible de rendre obligatoire l’apprentissage d’une langue à l’école. Nos langues, elles, sont confrontées à des “difficultés juridiques” et des “doutes sur la constitutionnalité” d’une telle obligation.
- Des moyens sont affichés pour les langues régionales (des postes ou des dotations horaires spécifiques pour le secondaire), mais ils ne sont jamais fléchés, ni protégés. Les chefs d’établissements peuvent théoriquement ouvrir une section bilingue mais sans savoir si l’enseignant qui leur sera affecté sera locuteur de la langue. Ils peuvent maintenir des cours d’initiation, mais à la condition de sacrifier l’heure de soutien obligatoire
- La loi et la Constitution ne suffisent pas. Il faut que nos langues soient inscrites également dans le Code de l’éducation, afin de pouvoir bénéficier de moyens spécifiques, protégés, au même titre que les autres langues. Afin que l’on sorte de la mise en concurrence permanente sur les priorités et les moyens. Afin surtout de pouvoir construire dans la durée, sans le risque de voir ce que nous avons bâti détruit par un simple décret
4) Le lycée et la réforme du baccalauréat
C’est au niveau du lycée que l’enseignement des langues régionales a le plus souffert lors de la réforme du baccalauréat. Et de nombreux reculs persistent, nécessitant d’être corrigés rapidement.
- Nos élèves pouvaient, jusqu’à très récemment, passer des épreuves terminales du baccalauréat en langue régionales (Histoire-Géographie et Mathématiques dans certains cas). Depuis 2018, ce n’est plus possible. L’Éducation nationale l’a interdit. La circulaire de décembre 2021 a corrigé cela et a rétabli la possibilité de passer des épreuves du baccalauréat en langue régionales pour les élèves issus des filières bilingues, mais des trois ministres de l’Éducation Nationale qui se sont succédé depuis sa publication, aucun n’a voulu la mettre en application. Passer des épreuves du baccalauréat est autorisé dans les textes, mais interdit par la pratique. Concernant l’épreuve de sciences du Diplôme Nationale du Brevet, les réponses varient selon les académies et les filières, certains élèves étant autorisés à rédiger en langues régionales, cela restant interdit à d’autres
- Au lycée, la possibilité de présenter une langue régionale en LVA est toujours impossible. Les textes l’interdisent. Seules les langues étrangères peuvent être évaluées à un niveau de compétence langagière B2. Les langues régionales ne peuvent être présentées au baccalauréat qu’en LVB ou LVC, et donc évaluées à un niveau maximum de B1. Il est demandé à un élève de filière bilingue langues régionales d’atteindre au lycée un niveau supérieur au niveau B2, mais il sera évalué au baccalauréat à un niveau que l’on attendait de lui au collège
- Les élèves scolarisés en dehors des zones d’enseignement d’une langue régionale avaient quand même auparavant la possibilité de présenter cette langue en LVB au baccalauréat. Ce n’est désormais possible qu’en LVC, par le biais d’une inscription au CNED. Il faut revenir à la possibilité antérieure.
- L’enseignement optionnel des langues régionales doit être traité a minima à égalité avec l’enseignement du latin et du grec ancien. Ces deux dernières langues peuvent être prises comme option supplémentaire, de manière cumulative, mais cela est désormais interdit pour les langues régionales qui n’ont pas ce statut de protection et sont donc soumises à la concurrence directe des autres options. L’option “langues régionales” permettait auparavant d’obtenir des points supplémentaires au baccalauréat.
- Il est nécessaire de repenser une proposition alternative à l’enseignement de spécialité langues, littératures et cultures étrangères et régionales (LLCER) s’inspirant de la nouvelle offre de formation, Baccalauréat Français International (BFI).
Le fait que seulement 120 élèves aient présenté cette spécialité au baccalauréat en 2022, toutes langues régionales confondues, montre ses limites et ne compense pas les autres reculs subis. Si cet enseignement de spécialité reste malgré tout intéressant pour une minorité d’élèves, la règle de non possibilité de cumul avec un autre enseignement de spécialité de langue devrait être supprimée et une proposition alternative à la seule LLCER régionale doit être trouvée pour encourager tous les profils d’élèves.
Il y a lieu de s’inspirer de la nouvelle offre de formation Baccalauréat Français International (BFI) qui depuis la rentrée 2022 s’applique également aux élèves scolarisés en France et mentionnant Toutes les spécialités de la voie générale hormis “Littératures et cultures étrangères et régionales“. Or, ce BFI instaure des parcours trilingue ou quadrilingue. Une possibilité d’adaptation d’un parcours de spécialité mêlant langue régionale et langues vivantes étrangères doit donc pouvoir être étudiée dans les territoires où ces langues régionales sont enseignées.
III- Les cas où le développement des langues est limité par la loi
1) Focus sur l’immersion
- Retour sur l’inconstitutionnalité partielle de la loi du 21 mai 2021
L’immersion est anticonstitutionnelle. C’est le Conseil Constitutionnel qui l’a décrété. Cela n’a pas toujours été le cas. Il faut se souvenir que la plupart des fédérations du réseau Eskolim (Seaska : basque, Diwan : breton, Calandreta : occitan, ABCM-Zweisprachigkeit : allemand et alsacien, La Bressola : catalan et Scola Corsa : corse) sont sous contrat d’association et font donc partie du service public d’éducation, depuis 1993-94. C’est-à-dire juste après la modification de l’article 2 en 1992.
Mais depuis 2021, l’immersion est donc anticonstitutionnelle. Anticonstitutionnelle parce-que “l’enseignement immersif d’une langue régionale est une méthode qui ne se borne pas à enseigner cette langue mais consiste à l’utiliser comme langue principale d’enseignement et comme langue de communication au sein de l’établissement.” et il faut le rappeler, en France, un enfant n’a pas le droit de parler en basque à la cantine. Il n’a pas le droit de parler en breton à la garderie ou en occitan pendant la récréation. Les écoles sont des services publics et “l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public ; […] les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d’un droit à l’usage d’une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage”.
La seule exception à la loi ne peut être que pédagogique. Or, il se trouve que dans les établissements du réseau Eskolim, il est inscrit dans le projet pédagogique (depuis 1993 au moins) que la méthode d’enseignement de la langue passe par l’usage. Qu’on ne peut apprendre une langue sans l’utiliser et que les temps hors de la classe permettent de renforcer cet apprentissage.
- Retour sur la circulaire de décembre 2021
La circulaire de décembre 2021 confirme cette exception pédagogique et autorise donc le recours à l’immersion. Cela permet aux réseaux associatifs de continuer leur action, mais cela permet également de sortir l’immersion du cadre “expérimental” dans lequel elle a été cantonné dans l’enseignement public pour entrer dans le droit commun. Désormais, c’est le projet d’école, le projet pédagogique qui définit le nombre d’heures d’enseignement en langue régionale. On peut théoriquement enseigner 100% en langues régionales de la maternelle au lycée.
2) Panorama de l’enseignement immersif en France (réseau Eskolim, enseignement public et confessionnel)
Actuellement, environ 15.000 élèves bénéficient de cet apprentissage, dans 5 langues dans le réseau Eskolim des écoles associatives d’enseignement de langues régionales par immersion.
L’Éducation nationale ne communique pas de chiffre à ce jour pour les autres réseaux.
3) Les autres entraves aux développements de l’enseignement des langues
Quand on parle de généralisation de l’enseignement des langues régionales, il convient aussi de s’assurer que l’on garantit la liberté de choix des parents : le choix de la filière d’enseignement (public, confessionnel ou associatif) ainsi que celui du mode d’enseignement (initiation, bilingue, immersion). Il convient de s’assurer que ce choix existe et est accessible à tous les parents.
Outre les différentes réponses des rectorats sur les demandes d’ouvertures ou l’octroi de moyens, les filières associatives sont également très impactées par des interprétations très restrictives des lois sur la contractualisation des écoles privées, par la loi Gattel qui régit les écoles hors-contrat ainsi que par les clauses du Code de l’éducation issues de la loi Falloux du XIXème siècle.
IV- Les limites hors enseignement et la réponse par la modification de la constitution
Les problèmes rencontrés par les langues régionales ne se cantonnent pas au seul domaine de l’enseignement. Sans lister l’ensemble des secteurs, notons tout de même que l’audiovisuel est un domaine où les langues régionales sont particulièrement sous-représentées (radios, télévisions, plateformes de diffusion en ligne, réseaux sociaux, services publics…).
1) Les signes diacritiques et l’interdiction des prénoms Fañch, Iñaki, Aña, Martí, Artús, Nuñez…
L’interdiction des prénoms en langues régionales ne remonte pas à la révolution française mais à une circulaire en date du 23 juillet 2014 sur l’État Civil.
Pendant des décennies, depuis les années 70, ces prénoms ont été autorisés sur les cartes d’identité. L’interdiction a été établie au XXIème siècle.
Comme le Conseil constitutionnel l’a précisé, ce ne sont pas les tildes et autres signes diacritiques qui sont interdits mais les prénoms en langues régionales : “les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d’un droit à l’usage d’une langue autre que le français”
2) Villers-Cotterêts et la DGLFLF
Nos langues ont besoin du ministère de la Culture, elles ont besoin que ce ministère soit doté d’un budget important pour le développement des langues régionales, bien plus important que les miettes dont “bénéficie” aujourd’hui la DGLFLF (Délégation générale à la langue française et aux langues de France).
A titre d’exemple, le Projet de loi de finance 2023 proposait un budget de 4,2 milliards d’euros de crédits budgétaires pour le ministère de la Culture, en hausse de 271 millions d’euros par rapport à 2022 (soit +7%). Le rapport législatif présenté au Sénat précise le décompte de cette augmentation, programme par programme, et action par action. Parmi les deux actions qui n’avaient pas d’augmentation de budget se trouvait l’Action 03 : “Langue française et langues de France”.
3) La riposte des collectivités locales
De nombreuses collectivités locales tentent de corriger les interdictions qui viennent de l’État (délibération de la collectivité de Corse, délibérations des communes catalanes, reconnaissance du créole comme langue officielle en Martinique, signatures de chartes locales sur la langue basque avec les mairies, schémas de développement linguistique du Finistère, programme de réappropriation linguistique de la région Bretagne, plan “Iniciativa Dus” (nouveau schéma pour le développement de l’occitan), délibération en faveur d’une modification de la constitution prise par le département des Pyrénées-Atlantiques…)
Mais l’État s’oppose quasi-systématiquement à ces mesures et en arrive même à renforcer certaines interdictions, comme dans le cas de la décision contre les communes catalanes précisant qu’une langue régionale ne peut plus être utilisée “au côté” du français comme langue de délibération, mais uniquement “après”, comme langue de traduction uniquement. En prenant toujours pour prétexte l’ordonnance de Villers-Cotterêts, mais surtout l’article 2 de la Constitution.
4) La nécessité de modifier l’article 2 de la Constitution
Lorsque cet article avait été voté, en 1992, les législateurs s’étaient engagés à ce qu’il ne soit jamais utilisé contre les langues régionales. Voyant que ce n’était pas le cas, les suivants ont tenté de corriger cela en ajoutant l’article 75-1 à la Constitution, mais cela n’a eu aucun effet.
Dans sa décision de mai 2021 (QCP 2011-130 du 20 mai 2011), le Conseil Constitutionnel avait ainsi affirmé que “cet article n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit”.
La France a signé bon nombre d’accords internationaux qui pourraient protéger nos langues, mais elle l’a toujours fait avec des réserves liées à l’article 2, empêchant toute protection de nos langues.
Modifier la constitution ne sera pas aisé, mais nous pensons qu’il est en est temps. Nous l’avons vu lors du vote de la loi du 21 mai 2021, nous le voyons dans les initiatives prises par les collectivités, le centralisme parisien est isolé. Et cette position consistant à refuser l’application des droits culturels ou des droits linguistiques devient difficilement tenable sur la scène internationale.
En mai 2022, les trois rapporteurs spéciaux du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies pour les minorités, pour la culture et pour l’éducation, ont adressé une communication au gouvernement français suite à la censure de la loi du 21 mai 2021 par le Conseil constitutionnel et déclaré que “cette décision peut porter atteinte à la dignité, à la liberté, à l’égalité et à la non-discrimination ainsi qu’à l’identité des personnes de langues et cultures historiques minoritaires de France”.